La décision d'une démission doit être prise en toute liberté pour pouvoir échapper aux interprétations de complot, de manque de lucidité ou de manipulation. En réunissant un certain nombre de conditions, le pape coupe court à un certain nombre de spéculations.
C'est une situation totalement inédite. Un pape remet sa charge dans l'exercice de ses fonctions. On peut même considérer que la renonciation de Benoît XVI, annoncée le 11 février, et prenant effet le 28 février, soit dix sept jours plus tard, comme unique dans l'Histoire de 2000 ans de papauté. Elle n'est en effet pas réellement comparable avec celle de Grégoire XII, intervenue sous la pression en 1415 pour mettre fin au schisme d'Occident, dans un contexte géopolitique très troublé. De même, la démission de Célestin V intervenue en 1294 était la conséquence d'une erreur de casting : les cardinaux avaient tiré de son monastère un spirituel qui a reconnu son inaptitude au bout de quelques mois.
Nous ne sommes pas dans le cadre de 1415. Benoît XVI avait confié il y a deux ans au journaliste Peter Seewald qu'on ne pouvait démissionner qu'en cas d'extrême nécessité, et qu'il n'était pas question d'abandonner le navire en perdition. On ne peut pas raisonnablement affirmer que l'Eglise est dans la tempête, si l'on compare à l'année 2009, en dépit des Vatileaks de 2012. L'autorité du pape n'est nullement contestée par une partie de l'Eglise, comme ce fut le cas au temps du Grand schisme.
Rien à voir avec le destin de Célestin V... Même s'il a commis des erreurs, Benoît XVI n'a jamais été contesté en tant que pape, mais courageusement assumé toutes les rigueurs de sa charge pendant presque 8 ans.
Pour que la renonciation ne soit pas entachée de soupçon, le code de droit canonique, dans l'article 332 paragraphe 2, est formel : « S’il arrive que le Pontife Romain renonce à sa charge, il est requis pour la validité que la renonciation soit faite librement et qu’elle soit dûment manifestée, mais non pas qu’elle soit acceptée par qui que ce soit ».
La liberté du pape est un élément majeur. Le contexte de la manifestation de la nouvelle aussi: l'annonce doit exclure toute rumeur et toute ambiguité sur la volonté du pontife de quitter ses fonctions. Enfin, elle n'a pas à être "acceptée" : le pape doit être en situation de pouvoir plénier. Pas question qu'une poignée de prélats extorquent une signature à un vieillard déboussolé...
Le fait même que Benoît XVI provoque la stupeur générale est important : on ne peut pas dire que le pape a agi sous la pression médiatique pour se retirer. La chose eût été différente si la nouvelle était tombée en pleine crise du préservatif de mars 2009, lorsqu'Alain Juppé, par exemple, affirmait que Benoit XVI posait « un vrai problème » pour l'Eglise catholique. De même, Benoit XVI se retire alors qu'il est en pleine possession de ses moyens intellectuels. Comme il l'a montré trois jours avant sa démission, en s'adressant longuement de façon brillante devant les séminaristes romains, et sans notes. Comme il va probablement le prouver encore une fois ce jeudi 14 février en s'exprimant devant le clergé romain, à nouveau sans filet. Ceci est essentiel pour montrer qu'il ne s'agit pas d'un homme sénile qui aurait pu être manipulé par son entourage. Cela aurait pu être le cas si le pape avait trop attendu, et qu'il eût été surpris par une soudaine perte de ses capacités (suite à un AVC, par exemple) ouvrant la voie à des spéculations.
Lors de la très longue fin de pontificat de Jean Paul II, des rumeurs médiatiques revenaient par vagues pour évoquer la démission d'un pape très diminué. Il était donc d'autant plus difficile pour le pape polonais de se démettre : le Vatican ne redoute rien moins que de sembler céder à des pressions extérieures. Dans le contexte actuel, on peut affirmer que la liberté de discernement et de décision de Benoît XVI est intacte.
La stupeur, y compris parmi les cardinaux, dément l'hypothèse d'une forme de complot auquel le pape aurait été confronté. La thèse qui court sur certains sites internet, selon laquelle le pape se démet car il n'a pas pu réformer la Curie, est dénuée de fondements. On peut sans guère de doute affirmer que Joseph Ratzinger, en prenant le poste, savait qu'il aurait à affronter des adversaires internes. Il a bien dit : « Priez pour que je ne me dérobe pas devant les loups ». En réalité, seuls quelques ultra proches étaient pas au courant de cette démission. Si une machination terminale avait réussi, les rumeurs auraient couru. Or il n'y a eu aucune rumeur, et zéro fuite.
Pour toutes ces raisons, la démission du pape est un sans faute d'un point de vue de la stratégie. En ce qui concerne le timing, le pape aura aussi peut être souhaité que la transition du pouvoir se déroule pendant le Carême, temps propice à la conversion et au recentrement sur Dieu. Afin d'envoyer un message aux hommes de pouvoir au sein du Sacré Collège.
Les arguments avancés par le pape dans l'annonce de sa renonciation sont donc parfaitement cohérents. Il s'agit de la faiblesse et de la vieillesse. « Le pape nous envoie de nombreux messages, et notamment celui de l'humilité, du courage de la responsabilité. Tout homme peut méditer sur ces réalités, devant Dieu » a résumé le père Federico Lombardi, porte parole du Vatican.
La maladie est absente des raisons ayant présidé au choix du pape, a rappelé à maintes reprises le Père Lombardi lors de la conférence de presse du 12 février. Il a fait allusion au scoop révélé par le journal Il Sole 24 ore, selon lequel le pape aurait récemment subi une intervention pour changer son pacemaker (installé bien avant le pontificat), information véridique mais que le porte-parole a minimisé : « ce ne fut qu'un remplacement de routine ». Le Vatican semble gêné aux entournures sur le silence qui a entouré cette opération, qui, pour n'être pas grave, n'était pas anodine non plus.
Quant à la genèse de la décision du pape, le journal du Vatican, l'Osservatore Romano, a affirmé que le pape aurait décidé de quitter le pouvoir lors de son voyage au Mexique et à Cuba. Probablement devant la fatigue extrême causée par ce marathon, qui a aussi durement éprouvé les journalistes et la suite papale... Interrogé à ce propos, le Père Lombardi a nuancé l'affirmation de son collègue : « Je crois que cela a fait l'objet d'une longue maturation, et le voyage a été un élément parmi d'autres. Il s'est sans doute rendu compte qu'il ne pourrait plus supporter cela. Mais cela a été une étape dans son discernement, je ne crois pas qu'il se soit déterminé à ce moment là. Je crois que le voyage au Liban a joué aussi. »
Tout cela n'enlève rien à la question fondamentale posée par l'évenement : même si dans l'Eglise catholique , la tradition est qu'un pape meure à la tâche, Benoît XVI a considéré avec humilité qu'il n'était pas indispensable, et que les circonstances actuelles exigeaient l'engagement d'un homme plus apte à faire front. Quitte à décontenancer une partie des catholiques qui se sentent abandonnés par « leur » figure paternelle.
Benoit XVI a sans doute considéré qu'il avait fait tout son possible dans le dossier le plus complexe de son pontificat, celui de la réconciliation avec les intégristes, et qu'il fallait accepter l'échec en la matière. Il n'a pas non plus voulu exposer l'Eglise à une fin de règne analogue à celle de Jean Paul II, lorsque le pouvoir fut confisqué pendant de longs mois par un entourage qui bloqua de nombreux dossiers, comme par exemple les dossiers d'abus sexuels commis par des prêtres.
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